DOSSIER CNER : logement, un frein à l'attractivité des territoires
Le problème du logement dans les territoires devient un véritable frein à l’attractivité de nouveaux talents… Tous les territoires semblent devoir faire face à ce marché du logement en crise.
Une attractivité renforcée des territoires ruraux ou périphériques
Selon une étude de l’Insee publiée en avril 2024, les échanges migratoires 2021 font état d’une attractivité grandissante des villes de taille plus petite. Le nombre de personnes ayant rejoint une aire moins peuplée a augmenté, de 655 000 en 2019 à 756 000 en 2021 (+15 %). Cet effectif était stable au cours des trois années précédentes, soit avant la crise sanitaire liée à la Covid‑19.
À retenir également :
- Les déménagements, de l’Île‑de‑France vers les autres régions métropolitaines, ont augmenté de 25 %, avec 56 000 personnes de plus en 2021 qu’en 2019 ;
- En 2021, 842 000 habitants ont emménagé d’un pôle vers une couronne, soit
71 000 personnes de plus qu’en 2019 ; - Les mobilités des communes urbaines vers les communes rurales ont augmenté de +85 000 personnes, soit +12 %, même s’il s’agit essentiellement de déménagements vers les espaces ruraux périurbains ;
- En contrepartie, les mobilités de l’espace rural vers l’espace urbain sont en légère diminution (-0,7 % environ).
Les personnes âgées de 26 à 40 ans sont également surreprésentées parmi les personnes ayant migré de l’espace urbain vers le rural. Il s’agit dans la plupart des cas de couples avec enfants ou de familles monoparentales.
Ces tendances pourraient être freinées par la raréfaction des logements disponibles. En effet, selon une étude du CPME (confédération des PME), menée en 2023, près d’un recrutement sur cinq ne se fait pas en raison des difficultés à loger les salariés.
Et le logement constitue le premier poste de dépenses des ménages, on comprend alors que de telles difficultés constituent un frein à l’attractivité des territoires.
Et pour aller plus loin, Catherine Sabbah, déléguée générale de l'Institut des hautes études pour l'action dans le logement (Idheal), est intervenue lors d’une masterclass sur le thème « Plein emploi, plein logement : le couple habitat- travail est-il en crise ? » organisée dans le cadre des sixièmes Rencontres Cœur de ville, à Chartres. Elle y a notamment questionné la mauvaise répartition des constructions de logements par rapport à la carte des projets industriels : 40 % des logements construits entre 2010 et 2020 n’iraient que dans 1 % des communes. La demande est d’ailleurs plus forte au sein de certaines zones et cela peut être une explication.
Il faut également préciser que le dispositif Pinel (supprimé au 31 mars 2025) a poussé, depuis plusieurs années, les promoteurs à construire dans certaines zones identifiées comme faisant partie du dispositif fiscal.
Construction et ventes de logement anciens : un marché en crise…
En ce qui concerne la construction de logements collectifs, les autorisations de construction accusent une baisse sans précédent :
Autorisation de logements collectifs de novembre 2023 à octobre 2024 :
- 335 600 logements, soit 39 300 de moins que lors des douze mois précédents (- 10,5 %) ;
- 27 % de moins qu’au cours des douze mois précédant la crise sanitaire (mars 2019 à février 2020).
Mises en chantier de novembre 2023 à octobre 2024 :
- 259 000 logements collectifs, soit 59 500 de moins (- 18,7 %) qu’entre novembre 2022 et octobre 2023 ;
- 33 % de moins qu’au cours des douze mois précédant la crise sanitaire (mars 2019 à février 2020).
Pour l’immobilier ancien (logement qui a connu une mutation de propriété), la chute est également vertigineuse. Le volume de transactions de logements anciens en cumul sur les douze derniers mois en France (hors Mayotte) atteint 780 000 transactions à fin août 2024. Pour comparaison, à fin avril 2022, il y avait 1 184 000 transactions.
Néanmoins, la dernière note des notaires semble optimiste : « Le marché immobilier semble enfin entamer sa fin de cycle baissier après deux années de chute brutale et vertigineuse du haut des 1,2 million de transactions atteint en août 2021. Un optimisme, certes mesuré, est désormais de rigueur dans l’approche d’un marché qui reste malgré tout gouverné par les taux de crédit. »
Une crise multifactorielle
Comment le marché en est-il arrivé là ? En réalité, la situation est complexe et les causes de cette crise sont nombreuses …
Du côté de la demande, on assiste à un phénomène de décohabitation avec des divorces, des séparations… qui génèrent des besoins de logements en plus grand nombre et sur de plus petites surfaces. Ainsi, la tension sur les petits logements s’accroît tandis que le marché des grands logements se détend.
L’évolution des taux d’intérêt et le durcissement des conditions de financement sont d’autres contraintes, d’ordre financier, qui n’aident pas le marché à reprendre une trajectoire positive. En effet, entre la hausse du coût des matières premières, le durcissement des conditions de financements, la hausse des taux d’intérêt, et les revenus des ménages qui n’augmentent pas aussi rapidement, la solvabilité des potentiels acquéreurs est mise à rude épreuve…
Alors que du côté de l’offre, des contraintes réglementaires alourdissent le marché locatif. Les logements, dont le DPE (diagnostic de performance énergétique) est classé G, ne pourront plus être loués dès 2025 et ceux de la classe F à partir de 2028.
Il y a également des contraintes liées au métier des promoteurs, qui ont pris des engagements sur des terrains alors que les prix de l’immobilier ont tellement évolué que cela rend l’opération difficilement réalisable.
En outre, beaucoup de promoteurs rencontrent des difficultés à obtenir le niveau minimum de pré-commercialisations pour pouvoir lancer leurs opérations immobilières.
Des zones touristiques touchées par un nombre croissant de résidences secondaires
Certaines zones touristiques font face à un problème différent : des acheteurs étrangers achètent des logements pour en faire une résidence secondaire, des acheteurs ayant un pouvoir d’achat important et qui n’hésitent pas à accepter des conditions financières que les résidents du territoire ne peuvent pas atteindre. Ainsi, si les logements passent dans la sphère des résidences secondaires, le parc de résidences principales de ces territoires touristiques s’affaiblit.
En parallèle, le logement est devenu un outil d’optimisation fiscale et de rendement permettant une exonération de l’impôt. En quelques années, près d’un million de meublés de tourisme ont pris la place de logements classiques destinés à l’habitat permanent. Une loi a donc été adoptée en 2024 qui modifie le régime fiscale « Micro-BIC » très avantageux des meublés de tourisme, les soumet aux règlementations du DPE, et donne aux maires des compétences élargies pour mieux réguler les locations touristiques.
Cette loi constitue une première réponse à la crise du logement et il va falloir attendre plusieurs mois pour pouvoir en évaluer les résultats.
La transformation de bureaux en logements : une solution compliquée
Il est régulier de voir des communications autour de la transformation de bureaux en logements, une solution qui répondrait à la crise. Le Consortium des Bureaux en France (regroupant La Place de l’Immobilier, la Foncière de Transformation Immobilière (FTI) et Linkcity, partenaire du CNER) a identifié un « potentiel » de deux millions de mètres carrés d’immeubles.
Le Consortium des Bureaux en France est la première initiative professionnelle du genre, à avoir recensé de manière exhaustive l’ensemble des surfaces de bureaux du pays immeuble par immeuble. Ce travail minutieux et rigoureux, enrichi par l’apport opérationnel et l’expertise de ses membres, a conduit à la première quantification du parc de bureaux français : il totalise 173 millions de mètres carrés.
Et au sein de ce parc, il y a deux millions de mètres carrés de friches, dont 0,8 million de mètres carrés en régions et 1,2 million de mètres carrés en Île-de-France.
Mais ce type de transformation peut s’avérer très compliqué tant techniquement, que financièrement ou politiquement.
Tout d’abord, on observe des contraintes réglementaires liées aux politiques des villes : certaines collectivités ne souhaitent pas assouplir les règles d’urbanisme pour autoriser du logement à la place des bureaux, ce qui s’observe surtout dans la région francilienne.
Ensuite, des contraintes techniques sont à déplorer et liées à la rentabilité des espaces : des profondeurs de plateaux de 12 m sont des trames favorables au logement. La transformation devient difficile quand la profondeur atteint 15 m ou 18 m.
Enfin, les contraintes financières sont importantes : le coût des travaux atteint parfois le coût du neuf, et la rentabilité des opérations est alors compliquée.
Des exemples créatifs…
Les territoires sont confrontés à un véritable problème : les entreprises peinent à recruter mais pour attirer des talents, il faut les loger… Face à ces chiffres et à ces difficultés, quelles seraient les solutions ?
Saint-Nazaire a développé un immeuble de 32 logements selon un concept immobilier inspiré des méthodes de construction des Chantiers de l’Atlantique, mêlant acteurs publics et privés :
- Le projet prévoit un délai de montage réduit à huit mois pour un immeuble, avec un taux de préfabrication de 55 à 65 % en atelier, ce qui permet de réduire les coûts et les délais de construction ;
- C'est tout un consortium public-privé qui a été créé pour la mise en œuvre de cette expérimentation (agglomération, aménageur, bailleur social, promoteur, agence d’architecture…). Ensemble, ils ont travaillé pendant plusieurs mois pour définir un programme de logements répondant à un cahier des charges exigeant.
Depuis le milieu des années 2000, Linkcity a développé à Londres et dans les métropoles régionales du UK, une offre de logements avec services (en résidences principales), détenus par des investisseurs institutionnels anglais.
Linkcity a constaté que l’offre résidentielle locative pour les familles, était incomplète (notamment sur le volet des services incluant des abonnements négociés, une terrasse, une conciergerie, …) en France.
Linkcity a fait plusieurs constats. Tout d’abord, les institutionnels ont progressivement quitté le marché du résidentiel depuis une trentaine d’années, en cédant la majorité de leur patrimoine « à la découpe ». Ensuite, les dispositifs fiscaux successifs (dont le dernier né dit « Pinel ») ont progressivement introduit des plafonds de revenus empêchant ainsi les couples de cadres moyens de louer des appartements neufs et générant une propriété « éparpillée ». Cela a conduit à l’appauvrissement de l’offre locative qualitative pour les familles de salariés, notamment utile dans le cadre de la recherche de leur premier logement dans une nouvelle région (ce dont les propres salariés de Linkcity et de sa maison mère Bouygues Construction font l’expérience, lors de leurs mutations géographiques).
Plusieurs projets ont déjà été lancés sur ce modèle : une résidence livrée à Champs-sur-Marne (77), deux résidences en cours de travaux à Rouen (76) et Bagneux (92), et une résidence dont les travaux vont être lancés de façon imminente à Montpellier (34).
Enfin, pour citer un autre exemple créatif : l’agence de développement économique, d’aménagement de l’habitat et de construction, Oryon, à La Roche-sur-Yon (85), développer des tiny house. Six unités de tiny house (trois tiny house à Dompierre-sur-Yon et trois tiny house à Bourg-sous-la-Roche, sont destinées aux actifs travaillant dans le bassin d’emploi et aux étudiants, pour un loyer modeste. Cette démarche propose des solutions de logement temporaire, meublées, et accessibles. Grâce à cet habitat compact et fonctionnel, les collaborateurs des entreprises locales bénéficient d’un espace adapté, proche de leurs lieux de travail et des principaux services.
Une loi pour booster l’investissement privé et le marché locatif ?
En octobre 2024, une loi a été déposée à l’Assemblée nationale et renvoyée devant la Commission des affaires économiques. En substance, elle vise à redonner le pouvoir aux élus dans leur fonction d’aménagement des territoires, encadre juridiquement le droit pour le propriétaire de pouvoir contrôler l’état général du bien loué lors d’une visite annuelle et de vérifier par la même occasion que le locataire respecte les clauses du bail, prévient les impayés, aligne les régimes fiscaux de la location longue durée et crée un régime universel d’investissement locatif privé, lisible et stable.
Sera-t-elle adoptée ? Le CNER suivra le projet avec intérêt.
Un facteur logement compliqué
En conclusion, la crise du logement constitue un défi majeur pour l'attractivité des territoires, affectant directement leur capacité à attirer et retenir talents et investissements. Entre pénuries de logements, contraintes réglementaires, évolutions sociétales et disparités géographiques, des initiatives novatrices, comme à Saint-Nazaire ou avec Linkcity ou les tiny house, peuvent constituer des pistes intéressantes.
Cindy EMOND
Bibliographie :
- Etudes Insee sur les flux migratoires : cliquez ici ;
- Etude CPME « Rémunération, logement, mesures sociales : où en sont les TPE-PME » ? - cliquez ici ;
- Intervention de Catherine Sabbah aux sixièmes Rencontres Coeur de ville, à Chartres : cliquez ici ;
- La construction de logements à fin octobre 2024 : cliquez ici ;
- La note de conjoncture des notaires : cliquez ici ;
- L’immeuble de Saint-Nazaire : cliquez ici ;
- Concept Neoz de Linkcity : cliquez ici ;
- Tiny House d’Oryon : cliquez ici ;
- Le Consortium des Bureaux de France (CBF) - communiqué de presse de Linkcity : cliquez ici ;
- Loi sur les meubles de tourisme : cliquez ici ;
- Proposition de loi pour créer un choc d’attractivité du marché de la location : cliquez ici.